samedi 29 novembre 2014

AMADOU HAMPATE BA (1901-1991): l'homme et l'oeuvre

Ne a Bandiagara (Mali), chef-lieu du pays dogon et ancienne capitale de l'empire toucouleur du Macina (fonde en 1862 par el Hadj Omar), Amadou Hampate Ba, qui appartenait a une grande famille de traditionalistes peuls, est devenu un " sage"  unanimement respecte dans l'Afrique contemporaine. Apres avoir reçu, dans son enfance, la riche éducation traditionnelle, transmise par les cercles familiaux, il a été le disciple fervent d'une haute figure de la spiritualité musulmane africaine, Tierno Bokar, qui l'a conduit jusqu’à l'initiation ésotérique supérieure de la " voie Tidj.niyya ". Mais comme, parallèlement, il avait été élevé de l'école des Otages, que la colonisation française destinait aux fils de chefs, il a servi dans l'administration coloniale, puis il est entre comme chercheur a l'Institut français d'Afrique noire ; après l’indépendance, il a été appelé a de hautes fonctions administratives et diplomatiques. Sa double formation intellectuelle peut expliquer sa passion pour le patrimoine culturel africain que, des ses jeunes années, il a entrepris de sauvegarder, en le collectant, le transcrivant et le traduisant. Il a pu ainsi rassembler un considérable trésor d'archives, qui alimentera les publications savantes pendant encore de longues années. Ses inédits comprennent aussi une autobiographie, des ouvrages historiques, un ensemble de quelques
milliers de vers en peul. L'oeuvre publiee est cependant deja imposante. Elle comporte des travaux savants, parfois édites en collaboration avec des chercheurs européens : L'Empire peul du Macina (1955), synthèse historique exploitant la tradition orale ; Tierno Bokar, le Sage de Bandiagara (1957, remanie en 1980), célébration du maître vénéré ; des récits et contes initiatiques des pasteurs peuls :Kaidara, 1969 ; Koumen, 1961, L'Éclat de la grande étoile, 1974 ; Njeddo Dewal, mere de la calamite, 1985, présentes dans la grande collection bilingue des Classiques africains ou en version adaptée pour les enfants (c'est pour eux aussi qu'a ete transcrit le conte du Petit Bodiel, 1977). Mais l'oeuvre la plus fascinante d'Amadou Hampate Ba reste L’Étrange Destin de Wangrin (1973). Le sous-titre (á Les Roueries d'un interprété africain â) invite a y voir une chronique humoristique de la vie quotidienne a l’apogée de la colonisation. Il s'agit en fait d'un récit de vie, présenté comme authentique et fidèlement rapporte. Profitant de son statut d’interprété, au carrefour des langues et des pouvoirs qui s'imposent a l'Afrique coloniale, Wangrin (un ami de la famille d'Hampate Ba) est parvenu au sommet de la puissance et de la richesse, avant de connaitre la chute par oubli de ses
devoirs envers ses dieux protecteurs. L’allégresse du récit, tout imprégné de causalité magique, la netteté de la narration, tout droit issue du conte traditionnel, font éclater le moule du roman de mœurs coloniales. Wangrin, comme toute l'oeuvre d'Hampate Ba, fait pénétrer dans l’intimité d'une Afrique fidèle a son génie.

Jean-Louis JOUBERT

Amadou Hampaté Bâ(1901-1991): l'homme et l'oeuvre

Né à Bandiagara (Mali), chef-lieu du pays dogon et ancienne capitale de l'empire toucouleur du Macina
(fondé en 1862 par el Hadj Omar), Amadou Hampaté Bâ, qui appartenait à une grande famille de
traditionalistes peuls, est devenu un « sage » unanimement respecté dans l'Afrique contemporaine. Après
avoir reçu, dans son enfance, la riche éducation traditionnelle, transmise par les cercles familiaux, il a été le
disciple fervent d'une haute figure de la spiritualité musulmane africaine, Tierno Bokar, qui l'a conduit
jusqu'à l'initiation ésotérique supérieure de la « voie Tidjāniyya ». Mais comme, parallèlement, il avait été
élève de l'« école des Otages », que la colonisation française destinait aux « fils de chefs », il a servi dans
l'administration coloniale, puis il est entré comme chercheur à l'Institut français d'Afrique noire ; après
l'indépendance, il a été appelé à de hautes fonctions administratives et diplomatiques. Sa double formation
intellectuelle peut expliquer sa passion pour le patrimoine culturel africain que, dès ses jeunes années, il a
entrepris de sauvegarder, en le collectant, le transcrivant et le traduisant. Il a pu ainsi rassembler un
considérable trésor d'archives, qui alimentera les publications savantes pendant encore de longues années.
Ses inédits comprennent aussi une autobiographie, des ouvrages historiques, un ensemble de quelques
milliers de vers en peul. L'oeuvre publiée est cependant déjà imposante. Elle comporte des travaux savants,
parfois édités en collaboration avec des chercheurs européens : L'Empire peul du Macina (1955), synthèse
historique exploitant la tradition orale ; Tierno Bokar, le Sage de Bandiagara (1957, remanié en 1980),
célébration du maître vénéré ; des récits et contes initiatiques des pasteurs peuls :Kaïdara, 1969 ; Koumen,
1961, L’Éclat de la grande étoile, 1974 ; Njeddo Dewal, mère de la calamité, 1985, présentés dans la grande
collection bilingue des Classiques africains ou en version adaptée pour les enfants (c'est pour eux aussi qu'a
été transcrit le conte du Petit Bodiel, 1977). Mais l'oeuvre la plus fascinante d'Amadou Hampaté Bâ reste
L'Étrange Destin de Wangrin (1973). Le sous-titre (« Les Roueries d'un interprète africain ») invite à y voir
une chronique humoristique de la vie quotidienne à l'apogée de la colonisation. Il s'agit en fait d'un récit de
vie, présenté comme authentique et fidèlement rapporté. Profitant de son statut d'interprète, au carrefour
des langues et des pouvoirs qui s'imposent à l'Afrique coloniale, Wangrin (un ami de la famille d'Hampaté
Bâ) est parvenu au sommet de la puissance et de la richesse, avant de connaître la chute par oubli de ses
devoirs envers ses dieux protecteurs. L'allégresse du récit, tout imprégné de causalité magique, la netteté de
la narration, tout droit issue du conte traditionnel, font éclater le moule du roman de moeurs coloniales.
Wangrin, comme toute l'oeuvre d'Hampaté Bâ, fait pénétrer dans l'intimité d'une Afrique fidèle à son génie.

Jean-Louis Jubert

lundi 24 novembre 2014

QUI EST LE FONDATEUR DU MOURIDISME?


1« Si vous dites que je fais la guerre sainte, je vous donne entièrement raison. Mais je la fais avec la science et la crainte révérencielle en DIEU ». Par ces propos sublimes lors du conseil privé du 05 septembre 1895 qui décidait de son exil au Gabon, Cheikh Ahmadou Bamba décrétait une autre forme de Djihad fondée sur la foi, la science et la crainte révérencielle.
Cheikh Ahmadou Bamba put se détacher du pouvoir temporel des rois et des princes pour se livrer à la vie ascétique et désintéressée entièrement axée sur l’imitation du Prophète (PSL). Il fut beaucoup critiqué dans sa démarche par ceux qui espéraient qu’il continuerait dans le sillage de son Père en tant que conseillé et magistrat du roi, mais il resta ferme dans son choix. Cheikh Ahmadou s’est toujours situé dans l’axe du coran et de la sunna (tradition du Prophète). Pour lui « quiconque est en harmonie avec DIEU ne doit pas se soucier de sa contradiction avec les hommes »
Dans ce travail nous insisterons volontairement sur les raisons temporelles de la déportation d’Ahmadou Bamba pour aider le néophyte à comprendre selon son niveau d’entendement et aux chercheurs d’exercer sa raison discursive. De toute façon, les multiples dimensions de l’homme imposent d’opérer des choix dans l’analyse et d’opter pour approche qui ne doit pas occulter littéralement la dimension essentiellement mystique de l’homme. En effet, il est de notre devoir de tenir compte de certains phénomènes d’ordre métaphysique parce que d’une part ils ont été systématiquement
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occultés par les auteurs européens dont la plupart étaient des auxiliaires proches d’une manière ou d’une autre de l’administration coloniale et d’autre part par souci d’équilibre car, nous ne pouvons pas nous permettre de réécrire notre histoire, l’histoire, en nous fondant exclusivement sur des écrits étrangers. Nous devons lire les écrits d’africains et nous ouvrir à la tradition orale surtout qu’il y a des contemporains du Cheikh qui sont toujours vivants ou qui ont disparu il n’y a pas longtemps ou leur descendant immédiats qui peuvent être des réservoirs crédibles susceptibles de nous permettre de procéder à des recoupements et d’aller vers un maximum d’objectivité.
Né vers 1850 mais beaucoup disent 1855, de son vrai nom Ahmed Ben Ahmed Ben Habib Allah. Il est d’origine toucouleur par son quatrième ascendant venu du Fouta et installé en pays wolof où il épousa une fille de la race. Son arrière-grand-père mame Marame, père de Balla Mbacké fonda dans le Baol, vers 1772, un village baptisé Mbacké, pour perpétuer le nom de sa famille. Balla Mbacké s’installa dans ce village avec sa famille comme professeur enseignant le Coran. C’est là que naquit Momar Anta Saly, son fils. Ce dernier fit tout d’abord ses études avec son père Mame Balla Mbacké avant de les achever avec un éminent marabout nommé Ahmadou Sall venant d’une localité appelée Bamba.
Ce qu’il faut retenir de cette relation, c’est que ce fin lettré avait demandé à Momar Anta Saly de donner son nom à son deuxième fils. Ce qui fut fait et c’est ce fils, prénommé Ahmadou Bamba, plus tard devint le fondateur de la confrérie des mourides.
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Au cours de l’invasion du Baol par le marabout Maba Diakhou, Mame Balla Mbacké fut tué, dit-on, par des peuls et son fils Momar Anta Saly déporté au saloum par Maba Diakhou. Il ouvrit alors une école coranique très fréquentée à Porokhane et en profita pour donner une instruction solide à ses enfants. Il devint même, par la suite, le percepteur des fils de Maba parmi lesquels Saër Maty, qui devait plus tard se lier d’amitié avec Ahmadou Bamba. Ce fut à porokhane entre 1860 et 1870 que Cheikh Ahmadou Bamba, encore jeune, fit son apparition sur la scène religieuse et se lia d’amitié avec les chefs traditionnels de l’époque parmi lesquels le Damel du Cayor, Lat Dior Ngoné Latyr Diop qui, détrôné, s’était provisoirement retiré au saloum.
Lorsque Lat Dior fut réinstallé sur le trône, Momar Anta Saly regagnait le cayor avec ce dernier et passa un séjour de plusieurs années à Patar avant de s’installer à Mbacké Guet ou il fonda un village baptisé Mbacké-Cayor. C’est là qu’il mourut vers 1882 ou 1883 laissant sa famille continuait à y résider. Lat Dior avait alors repris la lutte contre les français. En 1886 il tomba définitivement à Dékhlé. Cheikh Ahmadou Bamba quitta alors le Cayor pour venir s’installer à Mbacké Baol le village de son ancêtre. Il fonda près de Mbacké Baol son propre village, Touba, devenu aujourd’hui la grande métropole religieuse, sanctuaire du mouridisme et lieu de pèlerinage annuel du monde noire musulman.
Cheikh Ahmadou Bamba a mené une vie si miraculeuse qu’on se croirait à un conte de fées. A huit ans (8ans), il a écrit son plus beau poème ; sa vie qui a duré soixante-
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douze ans ou soixante-quinze ans (72 ou 75) ; connait trente-trois ans (33 ans) de privation de la liberté mais malgré cela, Ahmadou Bamba a produit sept tonnes cinq cent (7 tonnes 500) de manuscrits. Personne ne l’a jamais vu étendu ou en sommeil ; il était d’un dynamisme aussi bien sur le plan physique qu’intellectuel.

Qui est Lat-Dior?

Au Sénégal, où la conquête avait commencé en 1854, la France disposait en
1880 de solides points d’appui avec l’annexion du Walo, de la partie septentrionale
du Kayor et du Jander. Depuis 1860, le protectorat français était
imposé aux États du Haut-Sénégal. Pour maigres qu’ils fussent, ces résultats
n’avaient pas été obtenus sans difficultés. Bien que chassés du Kayor
en 1864 par la France, le damel de Kayor, Latjor, n’en choisit pas moins
la stratégie de la confrontation en poursuivant la lutte contre les Français.
En 1871, à la faveur de la défaite française devant la Prusse, le gouverneur
du Sénégal renonça à l’annexion du Kayor et le reconnut une fois de plus
Damel. Dès lors s’établirent entre Latjor et l’administration française du
Sénégal des relations cordiales.
En 1879, le gouverneur Brière de l’Isle obtint du damel l’autorisation de
construire une route reliant Dakar à Saint-Louis. Mais, lorsqu’en 1881 Latjor
apprit qu’il s’agissait en fait d’un chemin de fer, il se déclara hostile au projet. Il
n’ignorait pas que le chemin de fer mettrait fin à l’indépendance du Kayor. En
1881, lorsqu’il sut que la construction allait incessamment commencer, il prit
des mesures pour l’empêcher. Les ordres furent donnés à tous les chefs de punir
sévèrement tout sujet du Kayor qui fournirait quoi que ce fût aux travailleurs
français3. Ensuite, des émissaires furent dépêchés auprès d’Ely, émir du Trarza,
d’Abdul Bokar Kan du Fouta Toro et d’Albury Ndiaye du Jolof. Latjor les invitait
à entrer dans une sainte alliance et à synchroniser leur lutte afin d’obtenir
plus facilement l’éviction des Français de la terre de leurs ancêtres4
Le 17 novembre 1882, il envoyait une lettre au gouverneur Servatius
pour lui interdire de commencer les travaux, même dans la banlieue dont le
territoire était partie intégrante du Kayor. Voici ce qu’il écrivait : « Tant que
je vivrai, sache-le bien, je m’opposerai de toutes mes forces à l’établissement
de ce chemin de fer […] La vue des sabres et des lances est agréable à nos
yeux. C’est pourquoi chaque fois que je recevrai de toi une lettre relative
au chemin de fer, je te répondrai toujours non, non, et je ne te ferai jamais
d’autre réponse. Quand bien même je dormirais de mon dernier sommeil,
mon cheval Malaw te ferait la même réponse5 ».
On ne saurait mieux dénoncer ceux qui ne voient dans cette position
de Latjor que le caprice d’un féodal sans aucun souci de l’intérêt de son peuple. Quoi qu’il en fût, constatant l’entêtement du gouverneur à réaliser
le projet, Latjor interdit à ses sujets de cultiver l’arachide. Il était persuadé
que sans cette graine les Français rentreraient chez eux. Il obligea aussi les
populations proches des postes français à s’établir au coeur du Kayor. Les
villages des récalcitrants furent incendiés, leurs biens confisqués.
En décembre 1882, le colonel Wendling pénètre dans le Kayor, à la tête
d’une colonne expéditionnaire composée surtout de tirailleurs africains et
d’auxiliaires des territoires annexés. Pour avoir combattu les Français depuis
1861, Latjor savait qu’il avait peu de chance de les vaincre en combat classique.
Il décrocha à l’approche de Wendling et alla s’établir au Jolof. Au Kayor,
Wendling donna le pouvoir à Samba Yaya Fall, cousin de Latjor. En août
1883, il était destitué et remplacé par Samba Laobe Fal, neveu de Latjor. Le
gouverneur était persuadé que Latjor ne ferait jamais la guerre à son neveu.
Il ne s’était pas trompé. Latjor trouva un compromis avec son neveu qui
l’autorisa en 1885 à revenir au Kayor.
En octobre 1886, Samba Laobe Fal était tué à Tivaouane par un détachement
de spahis. Le gouverneur Genouille décida alors la suppression du titre
de damel, divisa le Kayor en six provinces confiées à d’anciens captifs de la
couronne6. Un arrêté fut également pris expulsant Latjor du Kayor. Lorsque
notification de cette mesure lui fut faite, Latjor entra dans un véritable état
de rage. Il mobilisa ses 300 partisans qui lui étaient restés fidèles en dépit des
vicissitudes de sa fortune. Il délia toutefois de leur serment ceux qui n’étaient
pas décidés à mourir avec lui et entra en campagne contre les Français et
leurs alliés, ses sujets de naguère. Latjor avait la ferme intention de vendre
chèrement sa vie. Aussi feignit-il de se conformer à la mesure d’expulsion
en prenant le chemin de Jolof. Par une de ses audacieuses contremarches, il
parvint à se placer, à l’insu de tous, entre ses ennemis et la voie ferrée. Le
27 octobre 1886, vers 11 heures, il surprit au puits de Dekhle les Français et
leurs alliés et leur infligea de lourdes pertes. Il y trouva la mort ainsi que ses
deux fils et 80 de ses partisans7. La mort de Latjor mettait naturellement fin
à l’indépendance du Kayor et allait faciliter la mainmise française sur le reste du pays.



Histoire général de l'Afrique