Né à Bandiagara (Mali), chef-lieu du pays dogon et ancienne capitale de l'empire toucouleur du Macina
(fondé en 1862 par el Hadj Omar), Amadou Hampaté Bâ, qui appartenait à une grande famille de
traditionalistes peuls, est devenu un « sage » unanimement respecté dans l'Afrique contemporaine. Après
avoir reçu, dans son enfance, la riche éducation traditionnelle, transmise par les cercles familiaux, il a été le
disciple fervent d'une haute figure de la spiritualité musulmane africaine, Tierno Bokar, qui l'a conduit
jusqu'à l'initiation ésotérique supérieure de la « voie Tidjāniyya ». Mais comme, parallèlement, il avait été
élève de l'« école des Otages », que la colonisation française destinait aux « fils de chefs », il a servi dans
l'administration coloniale, puis il est entré comme chercheur à l'Institut français d'Afrique noire ; après
l'indépendance, il a été appelé à de hautes fonctions administratives et diplomatiques. Sa double formation
intellectuelle peut expliquer sa passion pour le patrimoine culturel africain que, dès ses jeunes années, il a
entrepris de sauvegarder, en le collectant, le transcrivant et le traduisant. Il a pu ainsi rassembler un
considérable trésor d'archives, qui alimentera les publications savantes pendant encore de longues années.
Ses inédits comprennent aussi une autobiographie, des ouvrages historiques, un ensemble de quelques
milliers de vers en peul. L'oeuvre publiée est cependant déjà imposante. Elle comporte des travaux savants,
parfois édités en collaboration avec des chercheurs européens : L'Empire peul du Macina (1955), synthèse
historique exploitant la tradition orale ; Tierno Bokar, le Sage de Bandiagara (1957, remanié en 1980),
célébration du maître vénéré ; des récits et contes initiatiques des pasteurs peuls :Kaïdara, 1969 ; Koumen,
1961, L’Éclat de la grande étoile, 1974 ; Njeddo Dewal, mère de la calamité, 1985, présentés dans la grande
collection bilingue des Classiques africains ou en version adaptée pour les enfants (c'est pour eux aussi qu'a
été transcrit le conte du Petit Bodiel, 1977). Mais l'oeuvre la plus fascinante d'Amadou Hampaté Bâ reste
L'Étrange Destin de Wangrin (1973). Le sous-titre (« Les Roueries d'un interprète africain ») invite à y voir
une chronique humoristique de la vie quotidienne à l'apogée de la colonisation. Il s'agit en fait d'un récit de
vie, présenté comme authentique et fidèlement rapporté. Profitant de son statut d'interprète, au carrefour
des langues et des pouvoirs qui s'imposent à l'Afrique coloniale, Wangrin (un ami de la famille d'Hampaté
Bâ) est parvenu au sommet de la puissance et de la richesse, avant de connaître la chute par oubli de ses
devoirs envers ses dieux protecteurs. L'allégresse du récit, tout imprégné de causalité magique, la netteté de
la narration, tout droit issue du conte traditionnel, font éclater le moule du roman de moeurs coloniales.
Wangrin, comme toute l'oeuvre d'Hampaté Bâ, fait pénétrer dans l'intimité d'une Afrique fidèle à son génie.
Jean-Louis Jubert
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