Au Sénégal, où la conquête avait commencé en 1854, la France disposait en
1880 de solides points d’appui avec l’annexion du Walo, de la partie septentrionale
du Kayor et du Jander. Depuis 1860, le protectorat français était
imposé aux États du Haut-Sénégal. Pour maigres qu’ils fussent, ces résultats
n’avaient pas été obtenus sans difficultés. Bien que chassés du Kayor
en 1864 par la France, le damel de Kayor, Latjor, n’en choisit pas moins
la stratégie de la confrontation en poursuivant la lutte contre les Français.
En 1871, à la faveur de la défaite française devant la Prusse, le gouverneur
du Sénégal renonça à l’annexion du Kayor et le reconnut une fois de plus
Damel. Dès lors s’établirent entre Latjor et l’administration française du
Sénégal des relations cordiales.
En 1879, le gouverneur Brière de l’Isle obtint du damel l’autorisation de
construire une route reliant Dakar à Saint-Louis. Mais, lorsqu’en 1881 Latjor
apprit qu’il s’agissait en fait d’un chemin de fer, il se déclara hostile au projet. Il
n’ignorait pas que le chemin de fer mettrait fin à l’indépendance du Kayor. En
1881, lorsqu’il sut que la construction allait incessamment commencer, il prit
des mesures pour l’empêcher. Les ordres furent donnés à tous les chefs de punir
sévèrement tout sujet du Kayor qui fournirait quoi que ce fût aux travailleurs
français3. Ensuite, des émissaires furent dépêchés auprès d’Ely, émir du Trarza,
d’Abdul Bokar Kan du Fouta Toro et d’Albury Ndiaye du Jolof. Latjor les invitait
à entrer dans une sainte alliance et à synchroniser leur lutte afin d’obtenir
plus facilement l’éviction des Français de la terre de leurs ancêtres4
Le 17 novembre 1882, il envoyait une lettre au gouverneur Servatius
pour lui interdire de commencer les travaux, même dans la banlieue dont le
territoire était partie intégrante du Kayor. Voici ce qu’il écrivait : « Tant que
je vivrai, sache-le bien, je m’opposerai de toutes mes forces à l’établissement
de ce chemin de fer […] La vue des sabres et des lances est agréable à nos
yeux. C’est pourquoi chaque fois que je recevrai de toi une lettre relative
au chemin de fer, je te répondrai toujours non, non, et je ne te ferai jamais
d’autre réponse. Quand bien même je dormirais de mon dernier sommeil,
mon cheval Malaw te ferait la même réponse5 ».
On ne saurait mieux dénoncer ceux qui ne voient dans cette position
de Latjor que le caprice d’un féodal sans aucun souci de l’intérêt de son peuple. Quoi qu’il en fût, constatant l’entêtement du gouverneur à réaliser
le projet, Latjor interdit à ses sujets de cultiver l’arachide. Il était persuadé
que sans cette graine les Français rentreraient chez eux. Il obligea aussi les
populations proches des postes français à s’établir au coeur du Kayor. Les
villages des récalcitrants furent incendiés, leurs biens confisqués.
En décembre 1882, le colonel Wendling pénètre dans le Kayor, à la tête
d’une colonne expéditionnaire composée surtout de tirailleurs africains et
d’auxiliaires des territoires annexés. Pour avoir combattu les Français depuis
1861, Latjor savait qu’il avait peu de chance de les vaincre en combat classique.
Il décrocha à l’approche de Wendling et alla s’établir au Jolof. Au Kayor,
Wendling donna le pouvoir à Samba Yaya Fall, cousin de Latjor. En août
1883, il était destitué et remplacé par Samba Laobe Fal, neveu de Latjor. Le
gouverneur était persuadé que Latjor ne ferait jamais la guerre à son neveu.
Il ne s’était pas trompé. Latjor trouva un compromis avec son neveu qui
l’autorisa en 1885 à revenir au Kayor.
En octobre 1886, Samba Laobe Fal était tué à Tivaouane par un détachement
de spahis. Le gouverneur Genouille décida alors la suppression du titre
de damel, divisa le Kayor en six provinces confiées à d’anciens captifs de la
couronne6. Un arrêté fut également pris expulsant Latjor du Kayor. Lorsque
notification de cette mesure lui fut faite, Latjor entra dans un véritable état
de rage. Il mobilisa ses 300 partisans qui lui étaient restés fidèles en dépit des
vicissitudes de sa fortune. Il délia toutefois de leur serment ceux qui n’étaient
pas décidés à mourir avec lui et entra en campagne contre les Français et
leurs alliés, ses sujets de naguère. Latjor avait la ferme intention de vendre
chèrement sa vie. Aussi feignit-il de se conformer à la mesure d’expulsion
en prenant le chemin de Jolof. Par une de ses audacieuses contremarches, il
parvint à se placer, à l’insu de tous, entre ses ennemis et la voie ferrée. Le
27 octobre 1886, vers 11 heures, il surprit au puits de Dekhle les Français et
leurs alliés et leur infligea de lourdes pertes. Il y trouva la mort ainsi que ses
deux fils et 80 de ses partisans7. La mort de Latjor mettait naturellement fin
à l’indépendance du Kayor et allait faciliter la mainmise française sur le reste du pays.
Histoire général de l'Afrique
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